Sunday, September 21, 2025

Djisr El-Djazair : huit ans après, la critique d’un pont qui a déplacé la baie (et les lignes)

Avertissement méthodologique ///////
Cet article a été co-rédigé avec l’assistance de ChatGPT (GPT-5, mode deepresearch+thinking), en mobilisant nos échanges depuis fin 2022 et un parcours documentaire large des références publiques disponibles en ligne sur huit ans autour de Djisr El-Djazair et Algiers20xx.

J’assume cette médiation de l’IA comme un choix méthodologique : une manière honnête, spéculative, radicale et critique de revisiter un projet qui, à son lancement, ne disposait pas de ces outils. L’objectif n’est pas de déléguer le jugement à la machine, mais d’utiliser ses capacités d’agrégation et de recadrage pour mettre en tension les arguments, les affects et les horizons du débat.

J’assume aussi l’absence d’illustrations, de schémas, de plans, de tableaux Excel, de business plan… bref, tout ce qui pourrait édulcorer le propos et la vision : c’est un choix et une démarche intellectuels assumés. Cependant, pour celles et ceux qui souhaiteraient des détails techniques, merci de vous référer à l’article LinkedIn indiqué en fin de post (*).

Au-delà du panorama : la baie comme matrice

L’événement fondateur : du pavé au pont
Huit ans ont passé depuis ce geste inaugural — un pavé dans la mare, un pont dans la baie. Le 21 septembre 2017, Djisr El-Djazair surgit dans l’espace public comme un artefact polémique et une proposition urbaine : un viaduc en Y d’environ 21 km, posé sur des îles-stations artificielles, combinant mobilités (voitures, TC, cyclables, piétons) et programmes métropolitains. On pourra dire que ce n’était « qu’une image » : précisément — l’image opère. Comme l’écrivait Kevin Lynch, la forme est déjà une instruction mentale ; elle organise les désirs, les peurs, les itinéraires. Nous soutenons qu’il existe un avant/après Djisr El-Djazair : la baie est sortie de son statut de décor pour devenir un champ de projet, donc un champ de conflits féconds. Les réactions — que nous évaluons empiriquement à ~75% favorables / ~25% défavorables — attestent moins d’un consensus que d’une prise d’otage heureuse de l’imagination collective : Alger a recommencé à se disputer à propos d’Alger.

Morphologie : du linéaire au matriciel
La géographie d’Alger est centripète : un amphithéâtre tourné vers la mer, avec des discontinuités topographiques et infrastructurelles qui désynchronisent les temporalités urbaines (centre saturé, périphéries périphérisées). Djisr El-Djazair propose un geste morphologique : convertir la baie — fracture liquide — en matrice. Ici, la mer n’est plus un bord : c’est un plan d’épaisseur où se logent des îles-programmes (loisirs, économie bleue, industries propres, espaces publics). Le pont n’est pas tant un trait qu’un système. À la manière de Rossi, il institue une forme primaire — un objet dont la permanence structure l’imaginaire ; à la manière de Koolhaas (Bigness), il assume l’effet-échelle comme condition d’une nouvelle urbanité : quand la forme devient gigantesque, la forme devient ville.

Infrastructure comme artefact culturel
Les villes méditerranéennes souffrent d’une tension chronique entre patrimonialisme et présentisme. Djisr El-Djazair se place frontalement sur cette faille : il profanise la baie en la rendant constructible, donc discutable ; il sacralise la traverse en l’érigeant en symbole. Simmel rappelait que le pont et la porte sont les archétypes de la culture : l’un relie, l’autre règle l’accès. Ici, le pont prétend ouvrir (relier deux Alger — l’historique et le possible) tout en régulant (niveaux, flux, arrêts).
L’infrastructure n’est plus l’ombre technique de la ville ; elle devient artefact public, pièce à controverse, théâtre d’une narration civique.
 
Alger, mode d’emploi : un pont pour déverrouiller la baie

Mobilités : de la vitesse à l’accessibilité
La critique paresseuse, mais néanmoins qui fait sens, a réduit la proposition à un slogan — « Bab El-Oued–Aïn Taya en 15 minutes ! ». Or le cœur du projet n’est pas la vitesse, c’est l’accessibilité augmentée : redistribuer les opportunités dans le temps quotidien. Paul Virilio a montré la dimension politique de la vitesse ; nous assumons ici un déplacement : passer de la vitesse (compétition des temps) à l’équité des temps (pluralité des accès). Les îles-stations deviennent des hubs où se nouent transports, emplois, culture, sport, soins, écologies productives.
L’argument n’est pas le raccourci ; c’est la reliure.
 
Écologie : du paysage contemplé au paysage productif
Le risque majeur — légitime — tient à la fragilité écologique de la baie. Toute critique sérieuse doit mettre sur la table hydrodynamique, sédimentologie, qualité de l’eau, habitats marins, avifaune, sans euphémisme. La seule réponse crédible est performative : éviter, réduire, compenser — et plus, régénérer. Le projet doit payer sa place par des gains nets mesurables : renaturation des littoraux, récifs artificiels intelligents, stations de dépollution, monitoring en temps réel (capteurs, données ouvertes), énergies marines/solaires, logistique bas-carbone.
Djisr El-Djazair ne vaut que s’il transforme un paysage contemplé en paysage productif-réversible, avec un bilan écologique vérifiable à 5, 10, 20 ans.

Économie politique : qui paie, qui gagne, qui décide ?
Tout grand projet « révèle » la constitution réelle d’une société. Un montage PPP classique ne suffit pas ; il faut ouvrir la boîte noire : quel cadre de gouvernance (autorité métropolitaine, agence de projet), quels contrats de performance (indicateurs publics), quelle captation de la rente foncière (valeur créée par l’accessibilité), quel fonds citoyen (titres participatifs), quelle règle d’or écologique (pas de dividendes sans atteinte des seuils environnementaux).
L’infrastructure doit cesser d’être une rente privative pour devenir un bien métropolitain conditionné.
L’économie d’un pont contemporain n’est pas seulement du génie civil ; c’est de la comptabilité écologique et sociale.

Djisr El-Djazair : disproportions nécessaires
 
Figures historiques : la controverse comme dynamique
Il est utile – et hygiénique – de replacer Djisr El-Djazair dans la galerie des objets d’abord honnis, ensuite fétichisés : tour Eiffel, Pyramide du Louvre, Sydney Opera House, Golden Gate, Øresund, Bosphore. Partout, la controverse a d’abord été esthétique et morale, avant de devenir économique et symbolique. Le diagnostic n’est pas « tout finit par être accepté » ; il est plus subtil : une ville se refonde en s’autorisant des disproportions, à condition que la disproportion devienne proportion commune (usage, bénéfices, imaginaire partagé).
Le pari critique de Djisr El-Djazair se mesure exactement là : peut-il convertir un excès en usage, un choc en culture ?
 
Contre-arguments sérieux (et réponses honnêtes)
- Coût et priorités sociales : oui, un ordre de grandeur en milliards.
- Réponse : phaser (îles pilotes, bretelles, tronçons), cofinancer (national/privé/citoyen/diaspora), indexer la rémunération sur des objectifs publics (accès, emploi, carbone, biodiversité).

- Risque technique/marin : oui, Méditerranée = houle, corrosion, maintenance.
- Réponse : normalisation haute (durée de vie 100 ans), design for maintenance, capteurs et jumeau numérique, protocoles d’arrêt réversible.

- Atteinte paysagère : oui, la silhouette change.
- Réponse : ne pas « masquer » l’objet mais l’installer dans des séquences visuelles (belvédères, promenades, cadrages), paysage sonore maîtrisé, lumière basse consommation scénographiée.

- Effet de gentrification : oui, l’accessibilité crée de la valeur.
- Réponse : politiques anti-exclusion (quotas de logements abordables, chartes d’emplois locaux, fiscalité redistributive), fonds de stabilisation pour riverains vulnérables.

- Capture oligopolistique : risque réel.
- Réponse : gouvernance indépendante, open data des flux et performances, audits publics.

Ces réponses ne « neutralisent » pas les objections ; elles les intègrent comme spécifications du projet.
 Un grand projet est un contrat autant qu’une forme.
 
Esthétique et ethos : la ville comme œuvre en commun
L’esthétique d’un tel pont n’est pas un style ; c’est un ethos. Nous plaidons pour une esthétique de la justesse : élégance structurelle, sobriété expressive, lisibilité des efforts (haubans, piles, tablier), matérialité résiliente (aciers protégés, bétons bas-carbone, composites recyclables), réversibilité programmée. Qu’on se souvienne de Banham : on peut aimer la machine pour ce qu’elle fait et non pour ce qu’elle montre. Un pont méditerranéen devrait parler climat, sel, lumière, ombre, marées humaines. Il devrait être enseignable : chaque détail explique la ville et la mer qu’il relie.

Le pont comme manifeste : déplacer la baie, déplacer la ville
 
Héritage opérationnel : ce que le débat a déjà produit
Même non construit, Djisr El-Djazair a eu des effets réels : retours massifs, conférences, invitations institutionnelles, émergence d’un lexique (îles-stations, matrice, reliure), désinhibition d’initiatives périmétriques (réaménagements littoraux, événements métropolitains), montée en compétences collectives (lecture des cartes, métriques de mobilité, écologies marines). La ville n’est plus seulement vécue ; elle est délibérée. C’est peut-être le gain principal : un réarmement civique par l’urbanisme.
 
Position : pourquoi nous persistons
Nous persistons non par fascination pour le grand geste, mais parce que Djisr El-Djazair a démontré sa capacité à redistribuer l’intelligence de la ville. Le projet se tient sur une crête : trop grand pour n’être qu’un rêve, trop neuf pour être déjà réalisable sans conditions. Or la vocation d’une critique d’architecture n’est pas de trancher entre oui/non ; elle est d’instruire le dossier du possible.
Djisr El-Djazair a déplacé la baie, certes — mais surtout, il a déplacé le seuil de nos exigences envers Alger.
 
Protocole pour la décennie suivante (si l’on devait passer à l’acte)
- Études d’impact cumulatifs (écologie, hydrodynamique, carbone, socio-économie) en données ouvertes.
- Agence de projet indépendante, dotée d’un mandat public clair, d’un comité scientifique et d’un conseil citoyen.
- Prototype insulaire (1 île-station pilote) : écologie productive, équipements publics, micro-mobilités, jauge touristique contrôlée, retours d’expérience sur 24–36 mois.
- Jumeau numérique de la baie : simulation des flux, scénarios climatiques, maintenance prédictive, exposition publique.
- Montage financier panaché : fonds souverain, obligations vertes, participation citoyenne/diaspora, conditionnalités ESG, pay-for-performance.
- Charte d’équité métropolitaine : anti-exclusion, emplois locaux, quotas d’accessibilité, tarification sociale, clauses de revoyure.
- Design for disassembly : démontabilité partielle, circularité des matériaux, inventaire matières, filières locales.

Ce protocole ne promet pas l’infaillibilité ; il cristallise l’exigence.

Djisr El-Djazair : du geste au contrat urbain
 
Coda : ce que la controverse nous a appris
Nous n’avons pas proposé un raccourci, mais une figure.
Nous n’avons pas imposé un objet, mais révélé une question : quelle Alger voulons-nous léguer ?
La controverse fut nécessaire — comme le furent celles de 1889 ou 1989 à Paris — non pour faire taire les opposants, mais pour affûter l’argument public.
Huit ans après, le plus grand succès de Djisr El-Djazair est d’avoir restitué la baie à celles et ceux qui la regardent : non plus seulement comme horizon, mais comme œuvre en commun. Le pont, pour l’instant, est dans les têtes ; c’est souvent là que commencent les infrastructures qui comptent.

Les visions bousculent le présent et sculptent l’avenir.
Djisr El-Djazair en est une — et la critique, loin de l’affaiblir, la rend responsable.

Nacym Baghli x GPT5
21.09.2025

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(*) Détails techniques
Pour les schémas, métriques, estimations, phasages et montages : voir l’article LinkedIn détaillé ici :