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Hope, 2011-2012
by Adel Abdessemed
Refugee boat and resin
‘Who’s afraid of the big bad wolf?’ (*) |
Qui a peur du grand méchant loup ? (*)
À mes amis artistes, architectes et créatifs lambda de tous bords.
Bien étrange phénomène. De plus en plus de galeries d'art ouvrent leurs portes ces derniers temps à Alger. Je ne peux évidemment que m'en réjouir. Mais étrange phénomène tout de même car elles restent désespérément vides, ou plutôt vidées. Vidées de leur sens et de leur substance. À croire aussi qu'elles sont parfois habitées par le vide, seul art possible et imaginable en ces temps. Étrange phénomène, enfin, peut-être parce que les œuvres elles-mêmes et leurs publics se font attendre, se laissent désirer. Alors on attend, patiemment, que l’alchimie opère. Certes, quelques timides (mais néanmoins louables) tentatives pointent du nez, ici et là. Une goutte d'eau dans un océan d'art-ifice, d'art officiel, d'art superficiel. Et si les deux venaient à répondre présent un jour, j'aimerai tant alors que cette communion, entre l'œuvre et son public, soit célébrée dans la quête absolue d'un Avant-gardisme (perdu ?), au sens le plus large du terme. Art, Algérien, et Avant-gardiste. Absolument.
Nous avons perdu tellement de temps à nous infliger du conventionnel et du convenu qu'il en devient urgent d'aller au plus court et au plus vite, au raccourci, temporel et intellectuel.
De par notre propre histoire contemporaine de l'art (et non de notre art contemporain), nous ne pouvons que nous inscrire dans une telle vision, Avant-gardiste. Donc, oui pour l'Art avec un grand "A" dans toutes ses expressions, terminaisons, déclinaisons, y compris l'architecture bien-sûr (même si ceci est un autre débat). Mille fois, oui ! Mais dans un élan, et pour un mouvement résolument Avant-gardiste, avec un tout aussi grand "A". Le temps presse et joue contre nous. La créativité n'attend pas, les mentalités (inter)changeantes et interchangeables, non plus. L’opportunisme nous guette. Cette affaire est donc l’affaire de tous, aujourd'hui et maintenant. Assoiffés, asphyxiés, agonisant presque de ce manque, nous, les professionnels, amoureux, ou simples amateurs, avons tant besoin de ce souffle... d'art. Aussi bien les uns que les autres.
Pour-cela, artistes, architectes, galeristes, mécènes, enseignants, donneurs d‘ordre, petits et grands, publics ou privés, citoyens lambda,... De grâce, épargnez-nous -et dénoncez par tous les moyens d'expression artistique dont vous disposez- l'art-ifice, l'art factice, l'art institutionnel et institutionnalisé, le lisse et le neutre, le beau et le très beau, l'approximatif et le vague, l'hésitant et le condescendant, les fausses traditions, les piètres références, maintes fois biaisées, faussées volontairement ou pas, l’art instrumentalisé. Bref, dénoncez de toutes vos forces et épargnez-nous surtout cet art simpliste, simplet et populiste, ce -ridicule qui désormais tue- dans l'œuf notre créativité, brûle à vif notre matière grise, et nous fait littéralement la peau au fil des vernissages pompeux et des inaugurations stériles. Résultat : villes incultes, cités anesthésiées, espaces urbains "moins-disant", infructueux, places publiques violées, déshonorées par un art suspect et corrompu, musées et galeries lobotomisés et vidés de leur substance créative. Cet art-ifice finira par phagocyter, broyer toute fibre artistique naissante. L’essence même d’une société créatrice, son ADN, n’est-il pas imprimé d’abord dans la sensibilité des plus jeunes générations ? Ces générations, aussi bien que les autres, doivent désormais transcender, transgresser l’ordre artistique préétabli dans lequel nous avons été enfermés, pieds et poings (mains et esprits, devrais-je dire) liés, depuis trop longtemps maintenant.
Vous, les jeunes générations, pour tout cela, préférez plutôt le radical et le tranchant, l'affront et l'audace, le choquant et l'irrévérencieux, le troublant et l'incertain. L'art, plus que l'architecture, devra questionner, interpeller, secouer les consciences, ébranler les convictions. L'art, autant que l'architecture, se doit, à qui en use et abuse, d'être intelligent, pertinent, incisif, autrement, ce ne sera que des toiles insipides, noircies par l'imposture ou colorées par le folklore. Ce ne sera que des installations loufoques et rocambolesques, inintelligibles. Ce ne sera que des sculptures burlesques et risibles. Ce ne sera que des bâtiments gargantuesques dépourvus d'espaces, mais comblés par des volumes. Du vieux papier peint jauni, terni par la bureaucratie. Des paillettes et du clinquant en guise de trompe-l'œil. De la régularisation mais sans la règle. De la conformité mais sans le conformisme. Ce ne sera que de fausses illusions (sur désillusions) reflétées lamentablement et perpétuellement sur les miroirs de notre société. Ceux-là mêmes que devraient précisément porter nos galeries, musées et autres espaces de promotion, d'enseignement et d'expression de l'art, dans toutes ses formes et sous tous les angles.
Avant-gardiste. Il n'y a que cette posture qui puisse nous sauver de l'art-ifice ambiant. Nous avons perdu déjà tellement de temps, à tel point que nous nous sommes égarés nous-mêmes, en prétextant à chaque fois cette interminable quête -somme toute impossible- de nos identités multiples et complexes.
Passons outre ! Ce sera déjà une première victoire sur le Nous, Nous et Nous.
Oui, après Nous le déluge.
NB
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(*) 'Who’s afraid of the big bad wolf?' is an exhibition by Adel Abdessemed at David Zwirner Gallery, New York (February 17 - March 17, 2012)
#NoFolklore #EnoughFolklore #GoBeyondFolklore
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