Thursday, September 11, 2008

Carcasse

De la notion de #Carcasse,
ou de l’Architecture "contemporaine" en Algérie.
@nacym_baghli

Il est édifiant de voir comment les mécanismes de la pensée et de la réflexion ont régressé ces derniers temps dans notre société, tous domaines confondus. L’heure est à la banalisation (ignorance ?) de/dans tout processus intellectuel. L’architecture n’y a pas échappé… et nous, les architectes, en sommes tenus responsables (mea-culpa ?), parfois même complices. L’école n’est pas en reste. On produit (sème) ce qu’on cultive, donc ce qu’on enseigne (re mea-culpa !). La généralisation de l’auto construction, et par conséquence de l’ « auto destruction », conjuguée à un « apeuprisme » régnant nous ont mené à la désolation urbaine que nous connaissons aujourd’hui et à laquelle nous assistons … impuissants. Voici à quoi ressemble notre environnement aujourd’hui :

Imaginez cette « œuvre », la carcasse, issue de cette alchimie « urbanodroïde » propre à nous, semblable à un virus qui se démultiplie à l’infini et que personne ne peut arrêter, ni même ralentir car dans sa course effrénée, ce processus là, inhibe toute réaction censée. Imaginez cet amas de briques et de béton, parsemé de ferraille, ne répondant à aucune règle d’esthétisme, à aucune préoccupation environnementale, ne faisant référence à aucun pan de notre histoire, faisant fi de tout bon sens et engloutissant tout espoir de renouveau urbain sur son passage. Imaginez et réalisez enfin que cette sorte de construction hybride, cette pâle imitation d'une sculpture avant-gardiste, cet « abri pour personnes », support de paraboles, climatiseurs, câbles de toutes sortes, enseignes, affiches publicitaires, pneus, fers en attente, cages d’oiseaux, linge étendu, grilles en acier et portes blindées, (...) bref, cette architecture là est celle qui règne en monarque absolu.

La pollution architecturale et urbaine est telle, qu’on ne sait plus (et on ne peut plus) envisager l’avenir de nos cités autrement. Je m’explique :

Ici, quand un client daigne vous consulter, l’architecte ne représentant, dans notre société qu’une contrainte administrative parmi tant d’autres, un vulgaire cachet humide, bref un vilain personnage, prétentieux de surcroît et surtout cher, très cher, trop cher pour ces quelques malheureux traits tirés sur du papier : « Mais enfin, c’est à la portée de tout le monde ! », pourrait-on entendre susurrer un peu partout…
Mais revenons à notre client. Je disais donc si (par miracle) il daigne vous consulter, dites vous bien qu’il y’a anguille sous roche.

Ça commence souvent par ce fameux « a3ndi carcasse ! » (j’ai une construction, non achevée). Le comment et le pourquoi de cette dite construction tiennent du miracle de la législation, ou bien devrai-je dire, de la « non législation » en vigueur. Le crime architectural est déjà là, nous ne sommes ici que pour le constater…

Vous avez aussi une variante, le « hebbit nebni ! » (je veux construire), comprenez je veux auto construire, ou plutôt, je veux détruire, suivi par le traditionnel « a3ndkoum catalogue ? » (avez-vous un catalogue).

Viennent par la suite (un florilège) d’autres expressions toutes aussi ahurissantes : « hebbit enmodifi ! » (je veux modifier), modifier les plans qui en réalité n’ont jamais existé, et je veux vous tenir, vous l’architecte, complice de cet acte ; « neddik tchouf ! » (je vous emmène voir), tout de suite de préférence, voir ce dont je suis capable de faire … tout seul et sans architecte, sans permis de construire et sans autorisation, sans même que le terrain ne m’appartienne !

Et là, j’ouvre une «grande» parenthèse, car elle s’impose.
« Réjouissez-vous chers concitoyens, chers auto-constructeurs ! Votre heure de gloire est arrivée ! vos efforts seront enfin récompensés ! au bûcher les architectes ! grâce à la loi dite de la Cohérence sur l’Habitat, l’Architecture et l’Organisation Spatiale, par abréviation dite celle du CHAOS, vous serez absous de tout les délits architecturaux que vous avez commis ! »

Pour finir, vous avez le magistral « c’est urgent ! » (la notion d’urgence étant capitale chez nous, elle est directement proportionnelle au degré du CHAOS souhaité) et l’inévitable « awah ghali ! » (ah non, c’est cher) trop cher pour quelque chose que je peux faire moi-même, d’ailleurs, la loi dite celle du CHAOS m’y autorise !

Mes amis, l’architecture est définitivement morte et enterrée, vive l’auto construction ! Le légendaire « tag a3la man tag ! » (synonyme de CHAOS, du reste) prend tout son sens ici. Ceci n’est pas une fiction mais la triste (comique ?) réalité.

Bon réveil.
À suivre… ou pas.